Le powhiri, ou la cérémonie de bienvenue organisée par les anciens maoris des tribus de la terre, des fleuves et des rivières de la région où a eu lieu notre symposium, a permis de tisser les premiers liens entre les hôtes et les invités, entre les locaux et les pérégrins, et d’initier un processus de partage des diverses expériences et expertises apportées par chacun afin d’aboutir à une synthèse constructive. Pour les lecteurs qui ne sont pas habitués aux protocoles d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande), le powhiri apporte la reconnaissance des habitants indigènes traditionnels, il associe les visiteurs à la tradition et aux coutumes locales. C’est un processus d’engagement qui nourrit le cœur et l’esprit et qui assure la construction de relations respectueuses. Dès le début, le symposium a été organisé en collaboration avec les maoris de la région et, pendant les mois qui ont précédé son déroulement, les préparations pour le symposium à Otaki comprenaient des réunions avec des groupes maoris.
Gouvernance et intérêts maoris
L’intérêt de RESPONSE pour la gouvernance intégrée vise à contribuer à la création d’une collaboration intersectorielle. Comme le disait Gary Williams de Waterscape, « le défi est de sortir les gens des silos ». Dans ce but, les groupes représentés à ces assemblées locales pour l’environnement comprenaient des chefs de la communauté locale, des groupes maoris, pakeha et pasefika qui participent aux conseils de la région et à la gouvernance municipale, des ingénieurs, des juristes, des conseillers en politique de la pêche, des universitaires exerçant dans des disciplines scientifiques et environnementales, des éducateurs, des participants intéressés par le développement, le divertissement, des chercheurs, des écrivains, des artistes et des philosophes.
La contribution des dirigeants maoris consistait en des comptes-rendus de première main sur les rôles des indigènes en tant que kaitiaki (gardiens) et sur les intérêts des maoris pour la gouvernance – dont la contribution d’un des chefs passionnés, Caleb Royal ayant récemment été nommé dans un nouvel organisme global de gouvernance régionale. La réalisation des aspirations maories pour le bien-être environnemental demande une collaboration des plus fines et stratégiques avec les parties qui ont une propriété, des intérêts d’investissement et d’affaire parallèles, dans les régions et les bassins versants locaux.
Les intérêts de Caleb vont de la gouvernance régionale à la gestion pratique des rivières et des fleuves en bordure desquels vivent ses concitoyens, avec un contrôle intensif basé sur des évaluations de la santé du thon (anguille). Un collègue de Caleb, Huhanna Smith, autre chef brillant de la région, a montré un courage et un engagement extraordinaires dans un programme de restauration qui implique de se confronter aux intérêts agricoles lucratifs et aux héritages de la fragmentation issus de l’intense appropriation de la terre par les colons. Le spectacle des arbres exubérants s’élevant sur les terres inondées et celui des eaux au milieu du « désert vert » constitué par les fermes environnantes issues des projets de drainage a fait naître un sentiment de respect et d’espoir exalté par la lumière dorée de ce fleuve côtier et de cette région de terres inondées.
Systèmes intégrés dans la région Pacifique
Une contribution se concentrait sur la région Pacifique et consistait en la présentation d’un programme samoan. Ce programme a été introduit par Lani Tupu, un Matail (chef) samoan, et était magnifiquement illustré par un film réalisé par Ocean Mercier (qui est allé au Brésil pour la Confint). Deux visiteurs venus de Vanuatu ont apporté leur témoignage sur les initiatives menées dans le Vanuatu et les autres pays des Îles Pacifiques et concernant une gestion des bassins versants établie sur la responsabilité de la communauté à l’égard des voies navigables, des côtes et des terres. La mise en œuvre d’une gestion intégrée, allant des montagnes jusqu’aux récifs, est facilitée par un contexte où l’autorité est localisée et continue, où les villages sont propriétaires de la terre et du territoire côtier. L’autorité des chefs donne l’expression d’une autonomie locale continue, qui a besoin d’être respectée et soutenue par le développement et par les occidentaux qui s’engagent aux côtés de ces communautés, leurs intérêts portant souvent sur le développement des ressources.
Un des problèmes qui émerge constamment provient de la tension entre le respect pour l’autorité locale et les intérêts de l’État. L’impulsion pour le développement, particulièrement celle provenant des intérêts externes, peut entrer en conflit avec les systèmes traditionnels de gestion du territoire et des ressources. Un aspect soulevé pendant le programme Across Oceania concerne le potentiel d’une action impliquant une responsabilité à la fois éthique et écologique pour la résolution des conflits d’intérêt.
Intérêts différents, échelles différentes, systèmes entrecroisés
Lors du hui, ou assemblée, les contributions concernaient des connaissances du kaitiaki, celles des praticiens de la communauté et des experts de l’eau, les scientifiques travaillant sur la santé des rivières et des fleuves néo-zélandais, les représentants de l’ONG Fish and Game, la communauté kayakiste et les représentants d’autres intérêts. Cette combinaison a aidé à croiser les différents aspects et les différentes considérations se référant à la santé et à la gouvernance des fleuves et des rivières ainsi qu’à la direction prise par la gestion des cours d’eau telle qu’elle est menée actuellement. Un défi qui a émergé concernait le besoin d’envisager la « voix » de l’environnement, de l’écosystème pour informer la gouvernance. Cela demande une harmonie bien connue de ceux qui sont étroitement liés aux rivières, aux fleuves, aux côtes et aux terres, mais considérée comme étrange pour les systèmes de gestion existants. Dans les pays occidentaux, la capacité pour mettre en œuvre des approches intégrées est souvent entravée par des juridictions politiques et légales séparées (comme celles portant sur les forêts et les pêcheries, les rivières et l’agriculture, la propriété privée et publique).
Comme cela a été argumenté par l’universitaire Russel Death, rassembler une telle variété de personnes a mis en avant la complexité de gérer les différents intérêts liés à l’eau – admirablement reflétés par la notion de respect des différentes « perspectives ». Le contraste entre les intérêts utilitaristes et commerciaux liés à l’eau et la valeur des fleuves et des rivières en tant que « canaux sacro-saints » était la toile de fond des études de cas locales et internationales présentées par Brian Kouvelis pour démontrer les différents intérêts liés à l’eau. Cependant et finalement, les valeurs doivent guider la gouvernance des voies navigables – valeurs de la santé de la rivière et de la qualité de l’eau qui sont à leur tour liées au respect de l’intégrité des écosystèmes des rivières et des fleuves, et de l’interdépendance entre l’eau et la santé humaine.
Si la spiritualité de l’eau fait toujours partie des discours indigènes sur celle-ci, elle est aussi exprimée par les « colonisateurs postérieurs ». Cette relation à l’eau a été révélée d’une très belle manière lors de la présentation de Charles Dawson qui a mis en évidence une relation entre sa famille et le fleuve Whanganui. Il a représenté une puissante histoire de connexions avec les voies navigables mettant ainsi en évidence les liens entre l’eau, les personnes et le lieu. Cet esprit et cette passion sont inhérents aux écrits historiques de David Young et son exaspération à l’encontre des dispositions politiques pouvant encore donner la priorité au développement de la propriété sur la protection des écosystèmes aquatiques. L’impulsion donnée pour la recherche des systèmes institutionnels et des cadres politiques correspondant aux dynamiques de vie des rivières et des fleuves et convergeant vers celles-ci guide l’intégralité de l’œuvre professionnelle et du travail créatif de l’ingénieur Gary Williams ainsi que la démarche d’enseignement et la pratique de la permaculture mise en œuvre par Emily William aux niveaux local et national.
Les débats étaient variés et portaient sur les priorités locales et régionales, nationales et internationales. La restauration des espèces de poissons autochtones représente un grand intérêt pour les écologies locales et historiques. Elle s’insère dans le processus de développement de politiques écologiques. Par l’intermédiaire de la loi sur la Gestion des Ressources en Nouvelle-Zélande, elles ont fourni un cadre de discussion sur la faisabilité d’une gestion intégrée. Corina Jordon a mis l’accent sur les dispositions permettant une gestion durable des ressources, la protection du caractère naturel, en tenant compte des relations qu’entretiennent les maoris avec les rivières et les fleuves et le kaitiakitanga (garde), la protection de l’habitat, les valeurs de l’écosystème et l’amélioration de la qualité environnementale. Il a encore été remarqué que les intérêts sont variés – peuvent-ils être conciliés ou intégrés ? Malgré les dispositions législatives en faveur d’une gestion intégrée, le scepticisme sur leur efficacité a été souligné par Peter Horsley, enseignant international, activiste et juriste. Peter a porté encore plus haut les aspirations en faisant pression pour obtenir une démocratie écologique et la mise en application d’une « loi sauvage » pour soutenir les communautés de la terre.
Des montagnes à la mer – les défis de la gouvernance
Une approche que nous espérons rencontrer plus souvent et qui est développée par Simon Thomas concerne les pêcheries intégrées, la gestion de la côte, des rivières et des fleuves. L’imaginaire considère les montagnes et la mer comme un tout et relie les côtes océaniques et la terre. Mais jusqu’à présent, nos systèmes ne comprennent pas ces grandes conceptions. Cependant, ce sont les habitats des espèces de poissons autochtones comme le grand thon ou les anguilles à la durée de vie centenaire ou la toute petite blanchaille. Les deux espèces migrent des fleuves à la mer pour accomplir leurs cycles de vie.
Le fleuve rencontre la mer à la plage Kuku
Dans l’article d’Ian Fuller, une définition utile pour une approche intégrée de la science des fleuves est la suivante : « une analyse holistique, transdisciplinaire des écosystèmes aquatiques qui intègre l’intégrité physique et écologique en tant que plateforme pour analyser les contrôles exercés sur l’intégrité de l’écosystème ». Plusieurs participants, y compris Gary Williams et John Philpott, sont membres d’un « groupe des rivières » IPENZ. Ce groupe a le potentiel de coordonner les intérêts dans la gestion des lignes de partage des eaux et de l’écosystème et d’identifier des stratégies alternatives pour mettre en application des systèmes intégrés.
Une des caractéristiques du symposium était l’énergie apportée par les produits frais et organiques provenant directement de la ferme avoisinante de Gary et Emily. Je suis certain que c’est la raison pour laquelle les participants étaient si assidus à la table et que nous avons dû plusieurs fois renoncer à des sessions programmées pour permettre aux conversations de se poursuivre.
Remarques et questions soulevées
- Comment envisager la voix de l’environnement dans la gouvernance ?
- À Aotearoa, Nouvelle-Zélande, une priorité transversale et concernant tous les secteurs et les intérêts, des écosystèmes aquatiques au changement constitutionnel, est que les citoyens de toutes les professions, les rôles et les conditions sociales développent la capacité de soutenir et de travailler avec les maoris. Il est communément dit que « ce qui est bon pour les maoris est bon pour tous ». Cette maxime fait référence aux vues holistiques du monde des maoris et leur expérience dans l’intégration des intérêts sociaux, économiques et environnementaux. Cette rencontre était une contribution à la construction du respect pour les approches indigènes et à l’impératif de la participation des maoris dans la gouvernance.
- Les droits de propriété dominent souvent les intérêts relatifs à l’eau. Mais les responsabilités pour l’intégrité des écosystèmes ont été évoquées dans des articles et des débats, elles ont été présentées de manière spécifique par Te Kawehau Hoskins comme un principe de gouvernance à examiner plus profondément.
- Il existe un mouvement mondial imminent tendant vers la privatisation de l’eau. L’article de Greg Ford a donné une alerte importante mais ce symposium ne permettait pas de dégager le temps nécessaire pour engager de manière adéquate les discussions sur la privatisation : le thème traité était le tout aussi important impératif de gouvernance des biens publics.
- La viabilité et la sagesse de la gouvernance et de la gestion des écosystèmes aquatiques dépendent des connaissances apportées par les personnes possédant l’expérience et le savoir locaux et ancestraux. Les dispositions pour que celles-ci soient écoutées et respectées, aux côtés des connaissances scientifiques et l’expertise professionnelle, constituent un élément clé de la variété des informations nécessaires à la prise de décision.
- L’ensemble des articles qui ont été préparés pour ce symposium et qui portent sur un si grand nombre de sujets liés aux écosystèmes des rivières et des fleuves, les lignes de partage des eaux et la gouvernance sera rassemblé dans une collection éditée. Cela fournira une ressource importante pour ceux qui croient que le bien-être humain dépend de voies navigables saines, et pour appuyer la mise en vigueur de lois et de systèmes de gouvernance intégrée.