L’Assemblée citoyenne du Sahel-Sahara vient de se terminer ce jeudi 7 octobre 2010 dans la ville historique d’Aioun en Mauritanie, en plein cœur de la région sahélo-saharienne et à quelques encablures seulement de la frontière du Mali et du Sénégal. Nous vous écrivons de l’aéroport de Nouakchott pour vous donner des nouvelles « à chaud » et partager avec vous ce véritable événement social, politique, culturel que nous venons de vivre. Mamadou Niang et son équipe ont fait un travail remarquable. Une centaine de participants, avec une forte participation sénégalaise et une petite mais très active présence malienne.
D’entrée de jeu, le moins que l’on puisse dire est que le voyage pour atteindre la ville d’Aioun est en lui-même une sacrée aventure ! Aioun est reliée à Nouakchott, la capitale mauritanienne, par une route goudronnée de 820 kilomètres (appelée la route de l’Espoir) qui chemine magistralement à travers les paysages semi-désertiques et intactes du sud mauritaniens. Les troupeaux de chameaux, les chèvres et les vaches traversent la route à leur guise. La nuit, les animaux empiètent légèrement l’asphalte pour profiter de la chaleur du bitume chauffé le jour par le soleil. On aperçoit au second plan les tentes des éleveurs nomades fixées tantôt sur les dunes, tantôt sur les pâturages verdoyants des prairies, les villages et leur cortège de commerces et de vendeurs ambulants. A bord du bus, s’échangent les premiers mots pour se découvrir entre participants, accompagnés du thé traditionnel et de quelques bouteilles d’eau pour lutter contre la chaleur. Beaucoup plus qu’un seul lieu de transit, la route est avant tout un lieu d’échanges et de vie. D’ailleurs, une bonne partie de la délégation sénégalaise, bloquée temporairement par les contrôles de migrations au poste frontière de Kaedi, aura passé la nuit à la belle étoile et à l’orée même du chemin.
Le dernier tiers du parcours avant d’arriver sur Aioun (250 km) est parsemé de trous et d’obstacles que les aguerris chauffeurs de camions et de voitures préfèrent éviter en empruntant des chemins parallèles à la route entre les dunes. Certains participants, en particulier ceux venant de Tombouctou, ont du parcourir près de 2.500 kms en bus, en taxis ou en camions, pour éviter les zones dangereuses où sont installés les conflits armés au Nord du Mali. Après leur blocage à la frontière, les délégués sénégalais provenant de plusieurs communes le long du fleuve Sénégal ont dû emprunter des chemins en plein désert pour éviter non seulement les contrôles de la police trop fréquents, mais aussi pour ne pas gaspiller trop inutilement leur recette dans la petite extorsion habituelle des douaniers et des policiers.
En dépit du long trajet pour atteindre Aioun, la qualité et la chaleur de l’accueil ont tôt fait de nous faire oublier la fatigue. Dès le premier jour, nous avons pu nous gratifier des soirées où la danse fait partie d’un dialogue direct entre les peuples. Nous savions que de nombreux peuples d’Afrique font de la danse un mode privilégié d’expression et la rencontre d’Aioun a été sur ce point remarquable. Côté logistique, l’ensemble des participantes et des participants ont été hébergés sur le même site hôtelier de Saada Tenzah. Les repas, les soirées, les plénières et les ateliers se sont déroulées également dans le même campement le plus souvent sous les tentes traditionnelles sahéliennes. Tous ces éléments ont permis d’apporter une fluidité et une "circularité" importante à la rencontre, ainsi qu’un contact permanent entre tous les participants.
Trois thèmes ont été identifiés pour approfondir les échanges et les propositions durant l’assemblée. Rappelons qu’un travail préalable de près de deux années, mené à travers des caravanes animées dans différentes villes de l’intérieur de la Mauritanie et des communes le long du fleuve Sénégal, avaient permis d’identifier six questions communes et prioritaires aux peuples de la région. Pour permettre de concentrer les débats durant l’assemblée, les organisateurs ont choisi d’en retenir trois :
- 1. Le rôle est la place de la femme dans la société sahélo-saharienne : dans l’éducation, la santé, l’économie, la politique, la religion, la famille. A propos de la place de la femme dans le système politique, la proposition d’appuyer les candidatures des femmes à la présidence des pays de l’ensemble sahélo-saharien a été nettement mise en relief, entre autres propositions.
- 2. Gouvernance, démocratie et citoyenneté : plusieurs réflexions et propositions ont été avancées afin de renforcer l’espace sahélo-saharien au-delà des limites du système étatique national, tout en réaffirmant le rôle de l’État pour sécuriser le développement et les services de base.
- 3. Le changement du système économique et énergétique vers un modèle qui donne la priorité aux énergies renouvelables, en particulier à l’énergie solaire, pour qu’il réponde aux besoins des populations et de l’agriculture, l’élevage et le transport entre les villes et les villages du Sahel-Sahara.
L’assemblée a été fortement enracinée dans les organisations de la société civile de la région. Elle a aussi été particulièrement suivie par les institutions politiques et religieuses ainsi que par les organisations de paysans et d’éleveurs, les groupement de commerçants, les responsables d’organismes internationaux actifs dans le Sahel-Sahara. Le gouverneur de la région d’Aioun a tenu à assister aux séances d’ouverture et de clôture avec plusieurs membres de son cabinet et s’est engagé explicitement à étudier les propositions issues des trois ateliers qui se sont déroulés pendant les trois jours. La députée nationale, représentante de la région d’Aioun, a animé l’atelier sur femmes et société et a très vivement participé à l’ensemble du dialogue. A noter enfin une présence très active, du début jusqu’à la fin, de cinq imams (guides religieux) représentants les 40 mosquées d’Aioun et de la région.
Pour le dernier jour, de façon comparable à l’Assemblée asiatique de Bangalore (août 2010), au lieu de tenir une seule plénière finale, nous avons choisi de mettre en œuvre une « plénière décentralisée ». Les participants de chaque atelier ont circulé de l’un à l’autre, en bénéficiant de la restitution des travaux effectués la veille par les facilitateurs et les rapporteurs, et en poursuivant l’enrichissement des débats. Cette modalité a permis de mettre l’accent sur l’approfondissement des échanges plutôt que sur les discussions plus statiques en plénière qui peinent souvent à exprimer la richesse des débats collectifs au travers d’un rapport de synthèse. La plénière finale a ainsi été portée à construire l’avenir et les suites de l’aventure.
Au-delà des remerciements habituels, les participants ont nettement ressenti que nous venions de vivre une rencontre inédite, que le processus de l’assemblée citoyenne du Sahel-Sahara est une aventure nouvelle et de longue haleine, que eux-mêmes, les citoyens de cette vaste région avaient commencé à emprunter une nouvelle caravane dans laquelle, ils et elles pouvaient devenir les architectes de leur propre destin. Un participants sénégalais, Mohamed Goudiaby, l’a souligné poétiquement lors de la clôture de l’assemblée, alors même qu’une pluie soudaine venait de rafraîchir le sol d’Aioun : « Nous venons de planter un jeune arbre et la pluie vient à l’instant de nous montrer la voie : elle est la première à arroser notre plantation. C’est à nous maintenant de continuer à nous mobiliser pour faire grandir cet arbre et faire en sorte qu’il porte ses fruits dans les différentes régions ».