Asambleas Ciudadanos


 

l'Assemblée du Cône Sud de l'Amérique Latine

 

 

Vers l’Assemblée Citoyenne du Cône Sud en 2010 : fragments historiques d’un parcours

Traductions : français . English . Español


* Ce texte est la retranscription de l’interview de Gustavo Marin - Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme réalisée à Antofagasta - Chili en avril 2007.


« Nous pouvons être d’Antofagasta, c’est sûr, nous pouvons être chiliens, encore sûr, mais nous pouvons aussi être péruviens ou boliviens. Je suis né à Antofagasta qui était bolivienne, suis-je alors chilien ou bolivien ? ou suis-je Aymara ou Quechua ? Je voyais les Aymaras et j’ai presque le nez des Aymaras ou des Quechuas ou des Diaguitas ou de je ne sais qui encore. Qui sommes-nous ? L’idée d’une Assemblée Citoyenne est celle d’un regroupement social de gens de régions distinctes, dépassant ces limites, ces nationalismes et ces étroitesses qui nous ont contenu… à la recherche de nouveaux horizons ».


"Nous avons démarré en 1995, autour du Sommet Mondial pour le Développement Social qui s’est tenu à Copenhague. A cette époque les Nations Unies organisaient des Conférences Mondiales sur ces grands sujets. D’un côté les Agences des Nations Unies organisaient un évènement officiel, de l’autre les ONG organisaient un évènement parallèle. Ce fut une tentative des Nations Unies, au terme de ce que l’on a nommé la « Guerre Froide », de créer une instance de régulation du multilatéralisme et de la Gouvernance Mondiale. Ce fut plutôt une tentative de régulation intergouvernementale avec une participation (subordonnée) de la société civile. Pour notre part nous avions lancé en 1994 l’idée d’une « Alliance pour un Monde Responsable et Solidaire » devenue plus tard « Alliance pour un Monde Responsable, Pluriel et Solidaire ». Cette Alliance a surgi d’une Plateforme élaborée en 1993 : la Plateforme pour un Monde Responsable et Solidaire.


Vient alors le « Sommet Social » de 1995. Nous nous sommes dit : organisons différentes rencontres simultanées en diverses régions du monde avec pour point de mire, ce Sommet Social. En janvier-février 1995 nous avons alors organisé quatre rencontres continentales : A Rio de Janeiro, au Cap, Paris et Pékin ; tout en réunissant au même temps des syndicats, ONG, organisations sociales, en soulevant des propositions pour le Sommet Social visant à répondre aux questions sur ce que devait être un développement à échelle humaine, un nouveau développement humain. Nous avons lancé la notion de Gouvernance Citoyenne. Ces idées furent intéressantes car elles ont mobilisé des gens de cultures distinctes, de différentes régions, avec une thématique commune. En Chine la réunion fut inédite avec la participation de japonais, de coréens, d’indiens et de taïwanais. Deux ans plus tard, en suivant cette dynamique de construction d’une Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire, nous avons organisé en Décembre 1997 six rencontres continentales plus, parallèlement et simultanément, une rencontre mondiale à Sao Paulo, Barcelone, Kigali, Alger, Bangalore et Roubaix (au nord de la France). Peu à peu était en train de se générer une dynamique de « mondialisation des dynamiques sociales ».


En juin 2000 s’est tenue à Genève une réunion pour célébrer ce que l’on a appelé « Copenhague +5 », afin de faire le bilan de Copenhague 95, cinq ans après. Arrivèrent alors les brésiliens avec l’idée de lancer le « Forum Social Mondial ». Ils disaient qu’il fallait ouvrir une alternative au Forum Economique Mondial de Davos. Plus tard s’est faite l’annonce du premier Forum Social Mondial à Porto Alegre, en janvier 2001. Très vite les brésiliens se sont rendu compte qu’il fallait aussi mondialiser la dynamique. Depuis le premier forum, nous voulions mondialiser le forum de Porto Alegre. Nous avons essayé en 2002, sans succès ; puis en 2003, toujours sans succès. Mais en 2004 nous sommes allés à Bombay. En 2005 nous sommes retournés à Porto Alegre. En 2006, ne pouvant réaliser un Forum unique au Maroc, celui-ci s’est tenu à Bamako, Caracas et Karachi. L’idée d’une continentalisation des processus sociaux, de simultanéité de ces processus sociaux étaient une idée, une force, une tendance présentes dans ces dynamiques.


Autour de l’Assemblée Mondiale des Citoyens de Lille, en décembre 2001, suivant l’expérience que nous avions développé en 1995 et 1997, autour de cette Plate-forme pour un Monde Responsable et Solidaire, nous avons fait précéder (cinq mois auparavant) cette Assemblée de cinq rencontres continentales en juin 2001. Nous avons organisé ces rencontres à Quito, Barcelone, Bangalore, en Tanzanie et au Liban. Avec toute cette expérience, une des pistes clés née de l’Assemblée Citoyenne de Lille (il y en eut d’autres) fut de lancer l’idée d’Assemblées Citoyennes par continent ou sous-continent, qui permettent une articulation des efforts des différents secteurs, travaillant sur des multiples thématiques, articulées à niveau mondial, toujours dans l’idée d’aller vers la construction d’une force sociale, d’une dynamique sociale à échelle continentale, en pleine époque de la globalisation.


Dans ce contexte, l’idée d’un Parlement Mondial est intéressante parce qu’elle pose l’idée d’une Gouvernance Mondiale, qui est absolument indispensable car le système des Nations Unies est non seulement obsolète mais aussi inopérant. La question de la Gouvernance Mondiale est une question réelle, non seulement du fait des expansions des nouveaux pôles géopolitiques et des nouvelles tentatives de multilatéralisme, mais du fait surtout de la nouvelle présence géopolitique de la Chine, de l’Inde et de grandes puissances autres que les Etats-Unis.


L’unilatéralisme avec les difficultés du gouvernement des Etats-Unis, se trouve dans une nouvelle phase de crise. Cependant la notion de Parlement Mondial ne semble pas être une bonne idée. D’abord parce que la notion de parlement est complètement étrangère à certains peuples, ensuite parce qu’elle met l’accent sur la notion de « représentant » et non de « responsable » et maintien donc la logique de représentation. Enfin cela pose de réels problèmes de représentation, de mise en œuvre d’un système de vote, de savoir qui élit qui et qui représente qui. Surgissent alors des questions telles que : « va-t-il y avoir des partis mondiaux ? Va-t-on avoir des représentations par régions ? Dans quelle proportion seront représentés les uns et les autres ?


Nous sommes partisans de proposer les rencontres d’ensembles continentaux ou régionaux comme des instances de participation et de régulation. Nous croyons que la notion d’Assemblée Citoyenne est une idée féconde et que les citoyens y sont sensibles : “Ceci nous ouvre un espace, un récipient, va au-delà des organisations en vigueur, permet de générer de nouvelles instances, nous renforce”.


Pour une société civile, le recours aux manifestations et aux marches ne sont pas suffisantes. L’exemple pour moi le plus pathétique et le plus marquant de cette insuffisance ont été les grandes manifestations de février 2003, qui ont sans doute été les manifestations pour la paix les plus importantes dans l’histoire de l’humanité…mais qui n’ont pas empêché les Etats-Unis de déclarer la guerre deux mois plus tard à l’Irak. C’est bien de manifester, y participent de nouveaux secteurs, il y a une nouvelle prise de conscience mais après, tout se dilue. Les Forums Sociaux ont bien entendu toujours une perspective, mais, même si cela nous coûte de le reconnaître, sont-ils une alternative d’une société civile face au néolibéralisme ? Nous en sommes encore loin. Les Forums Sociaux sont importants comme espaces de rencontre mais ils sont insuffisants.


Alors, nous avons dit : « Continuons avec la perspective de proposer des Assemblées Citoyennes ». Parce que les Assemblées Citoyennes cherchent à être des processus sociaux avec une perspective historique, de caractère constituant, où les différents acteurs sont les organisations sociales, depuis les jeunes, les femmes, les organisations indigènes, les maires, parlementaires, militaires, entrepreneurs, groupes religieux, scientifiques ; tous ces secteurs lorsqu’ils se réunissent, dressent, leurs propres Chartes de Responsabilité, leurs propres Plateformes Ethiques, vers le futur, font leurs propositions, les confrontent, les règlent, en construisant des processus sociaux plus consistants, qui leur permettent d’aboutir à des programmes de transformation profonde de la société.


Les gouvernements passent, les partis sont en règle générale assez fragmentés et ne parviennent pas à créer les consensus nécessaires. Les partis, lorsqu’ils portent au plus haut leurs idéologies, divisent la société. Cela ne signifie pas que les Assemblées Citoyennes soient un espace d’harmonie sociale superficielle. Elles peuvent et doivent être des espaces de confrontation d’idées et des points de vues, afin d’isoler tous ceux qui ont une vision autoritaire, putschiste, fasciste et excluante de la société. Mais, elles cherchent au même temps à embrasser de larges secteurs de la société, et pas seulement les ONG, ni les dirigeants de partis ou les militants les plus motivés ; Nous aspirons à ce que les Assemblées Citoyennes soient des mouvements sociaux, organisés, massifs, mais d’un genre nouveau. Dans une époque de globalisation, où le capitalisme continue de se développer, de provoquer la guerre et de détériorer l’environnement, c’est pour les citoyens une manière de prendre conscience et de s’organiser.


Quelle sera la viabilité de cette idée ? Qui pourra la développer ? Nous sommes en train de l’impulser dans d’autres régions, dans le dialogue entre la Chine et l’Europe par exemple. En Asie, nous avons amorcé le dialogue entre chinois et indiens. Ils se sont approprié l’idée d’une Assemblée Citoyenne en Asie vers 2010. Nous voulons en faire de même en Europe, autour de la Méditerranée, au Maghreb et au Sahel, à savoir une Assemblée des Citoyens du Maghreb et une Assemblée des Peuples Sahelo-Sahariens. Ces assemblées constituent un défi crucial dans cette région où face à des régimes autoritaires il est nécessaire d’ouvrir de nouveaux espaces sociaux.


Les gens ont conscience que “quelque chose“ au sein même du système politique ne permet pas de sortir de la crise. Les Assemblées Citoyennes ont l’intention de générer des formes de régulation plus sociales, plus participatives et plus autonomes. Cela sera-t-il suffisant pour influer au sein même des Etats sur les transformations des vieux schémas de régulation de la Gouvernance ? Nous ne le savons pas encore. Mais nous devons et pouvons l’essayer.


Les Assemblées Citoyennes cherchent à être un réceptacle des nouvelles citoyennetés, des citoyennetés multi-nationales. Une tendance forte en cours est le dépassement des Etats nationaux, produit des vieux processus de colonisation. Cette tendance va être de plus en plus forte. Ces notions visant à dépasser des logiques purement nationalistes ou sectaires prennent du temps mais il s’agit d’un changement éthique fondamental. Plus qu’un changement politique, il s’agit d’un changement éthique, un changement profondément humain."



 

 

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