Asambleas Ciudadanos


 

l'Assemblée du Cône Sud de l'Amérique Latine

 

 

Femmes de l'Amérique "brune" : le défi est d’organiser

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« Parler dans la perspective de la femme ». Cette phrase contient en elle à la fois une plainte et tout un manifeste. Elle a pris tout son sens dans la voix d’une centaine de femmes provenant de tout le pays et réunies les 12 et 13 novembre derniers à l’occasion de la Première Rencontre nationale du réseau des Femmes d’Amérique. Dans l’optique de l’Assemblée des Citoyens/Citoyennes du Cône Sud 2010, cette rencontre s’est déroulée à la Faculté de Philosophie et de Sciences humaines de l’Université du Chili. Les fruits de ce dialogue fructueux entre des travailleuses, des artistes, des praticiennes de l’art et de la culture, des professionnelles, des enseignantes, des habitantes, des dirigeantes sociales, des étudiantes, des syndicalistes, des immigrantes, ont composé un ensemble de conclusions qui seront bientôt publiées. Celles-ci s’inspirent d’une initiative multisectorielle, basée sur le respect de la diversité, l’inclusion sociale et les valeurs démocratiques.


Avec passion et force de caractère, directement et simplement, les femmes ont parlé d’elles-mêmes, de leur situation de vie particulière et de la vision des relations entre les femmes et l’homme, de ce qu’elles devraient être, de la violence contre la femme en Amérique latine et du machisme encore si persistant, des intimités de la sexualité et la vie en couple, des effets sociaux des politiques publiques destinées à la femme, de l’expression artistique et d’un large éventail de sujets qui perdurent et ont traversé le vingtième siècle jusqu’à nos jours.


La mondialisation, l’histoire et ses défis


Lorena Sanhueza, 32 ans, a voyagé plus de mille kilomètres depuis la ville d’Ovalle jusqu’à Santiago en compagnie de quatre collègues qui se sont intégrées à la table ronde portant sur la thématique du genre. En tant que mère et soutien de famille, la décision de suspendre ses activités pendant deux jours n’a pas été facile. Son bilan est cependant positif :
- Je me sens honorée d’avoir été invitée. C’est une très belle expérience, nouvelle pour moi, je n’avais jamais partagé avec autant de femmes. Je suis dirigeante d’un syndicat de commerçants ambulants d’Ovalle. J’ai aimé l’expérience, on apprend. Nous nous sommes mis d’accord pour que l’invitation soit renouvelée.


Avec ces mots simples, Lorena synthétise ce que l’atelier a signifié pour elle, ce qu’elle a appris et ce qui lui a paru novateur. Par exemple, au Chili, les secteurs dominants ont essayé d’imposer une famille standard sans considérer que les secteurs populaires dépendent de facteurs différents pour le développement de leur projet de famille. L’analyse collective menée lors de la table ronde du « genre » a fait apparaître que les changements générés par la mondialisation dans les domaines économique, politique et social ont bousculé la réalité ; que les modèles auxquels les femmes s’identifient cachent un type de domination subtil en renforçant les rôles traditionnels de genre.


Certains sujets sont rarement abordés ou sont gardés sous silence dans la conversation quotidienne de la rue, l’entreprise ou le quartier. Ici, dans la confiance du dialogue fraternel, ils ont naturellement affleuré. Par exemple, les sujets suivants ont été abordés : la situation de la femme dans les sociétés indigènes dont la société actuelle tire ses racines, la réalité déchirante de la temporisation avec les déplacements des femmes au travail et le coût que la famille populaire doit assumer, l’abandon et les mauvais traitements des familles populaires découlant de la mobilité du travail de l’homme, la répression exercée par l’Etat et les chefs d’entreprises comme conséquence des revendications des travailleuses, la nécessité d’instruction et de formation des femmes leaders, le changement des expressions et du langage comme un thème de genre. Il s’agissait ainsi d’inquiétudes communes à toutes les tables rondes avec, néanmoins, des développements de conscience personnelle très différents au niveau individuel, de sujets dont le traitement ne s’est pas cantonné à une simple doléance ou au réconfort. Comme l’indique Silvia Marín, artiste de théâtre :
- Interagir avec des femmes, des jeunes gens ; générer la discussion, le débat, le dialogue au-delà du thème du genre permet de se retrouver avec son identité. C’est le plus important quand on est consciente de qui on est, de son apport en tant que femme dans cette société. Au cours de cette table ronde, nous avons fait une analyse sur les moyens de démystifier certains mots. Par exemple, dans cette culture, on nous a toujours enseigné que quand on a ses menstruations, on est « souffrante ». Alors, si nous portons attention à la signification du mot, c’est comme si nous étions malades. De la même manière, après avoir accouché, on te dit « tu vas mieux ». Nous souhaitons enlever le poids des significations cachées de ces vocables.


Femmes de Feu


Dans la langue vernaculaire du peuple mapuche, Kutrel ke domo signifie « Femmes de feu ». Ainsi fut baptisé le réseau pour l’art et la culture, produit de la même rencontre, par celles qui ont donné vie au conservatoire respectif, c’est-à-dire, les femmes exerçant dans le théâtre, le design et la gestion culturelle, l’art populaire et l’enseignement. Cette table ronde était aussi composée par des participantes aux nationalités diverses, Clemencia Palacio de Colombie et Juana Arellano Huaman du Pérou, entre autres.


« Le nom de notre table ronde provient de la force impérieuse, profonde, du sacrifice du feu ; celui-ci purifie tout, crée des liens et concilie. En tant que femmes, nous avons les mêmes attributs, depuis l’ébullition des idées, depuis le voyage, la poésie, depuis les mondes divers que nous hébergeons dans notre âme, depuis les mers de notre conscience et la tiédeur de nos ventres », indique Olga Herrera, du centre culturel Socarte de l’Île de Maipo. La mission que le réseau s’est proposée est de se constituer en une force génératrice de dynamiques qui permette la canalisation des émotions féminines pour les manifester au travers des différentes expressions artistiques, comme signalé dans les conclusions de son colloque.


Pour Paola González, conceptrice graphique, membre de l’Université Arcis et coordinatrice de l’atelier, le dialogue a été profond et intégrateur car il reconnaît aux femmes leur immense capacité créatrice et cherche, grâce aux manifestations artistiques et culturelles, à « disposer socialement de la restructuration des euphémismes qui nous rendent inaptes en tant qu’être libres penseuses et créatives ». Beaucoup d’idées ont surgi pour donner une continuité et une validité au réseau. Parmi elles, la sauvegarde, au travers de la mémoire orale collective, des mouvements artistiques populaires qui se sont dissipés au cours du temps et la conversion du réseau en un puissant instrument de catalyse par l’intermédiaire de projets artistiques itinérants. De grands objectifs animent les Femmes de Feu : générer des actions qui permettent le sentiment de droit à la créativité, à l’utilisation et au plaisir du bien artistique, avec un sens pluri-éthique et multiculturel, avec un accent spécial placé sur les enfants des classes populaires pour développer en eux de nouvelles capacités, et creuser ainsi à terme les sillons propices pour générer un être humain plus complet et intégral.


Et comme pour les femmes, les verbes proposer et faire sont étroitement liés. La prochaine rencontre de ce nouveau réseau de l’art et la culture Kutrel ke domo (Femmes de feu) du Réseau des Femmes d’Amérique a déjà été fixée : elle aura lieu le 16 janvier 2010. Ce jour-là, dans la localité de l’Île de Maipo, une région agro-rurale située dans la périphérie de la ville, elles viendront en chantant et en ondoyant un fichu rouge car « la couleur qui nous représente est le rouge dégradé, symbole de la libération, le feu, le sang que nous versons en donnant la vie. »


Mémoire, droits de l’homme et cosmovision mapuche


Une histoire douloureuse hante encore silencieusement les nombreuses femmes de notre Amérique qui ont connu directement ou indirectement les contraintes des régimes militaires des années 1970. Parmi eux, la dictature de Pinochet au Chili. Elles sont restées profondément gravées dans la mémoire et le corps de beaucoup d’entre elles qui ont souffert des rigueurs des cellules et des tortures dans des centres clandestins de réclusion comme Villa Grimaldi. La transmission des histoires de ces femmes et de leur héritage a été un processus difficile, thérapeutique et hautement significatif, comme l’a exposé Lelia Pérez Valdés, une des coordinatrices des activités culturelles et des visites qui sont réalisées à Villa Grimaldi, convertie maintenant en un espace de réflexion et de mémoire, un musée revendiquant les idéaux des disparus et des morts en ce lieu. Pour Ximena González, 27 ans, originaire de Concepción, une ville du Sud du Chili, étudiante en pédagogie, fille d’un ancien détenu du camp de prisonniers politiques de l’Île Dawson et dont la famille s’est exilée, la participation à cette table ronde a été une expérience novatrice car, dès le départ, le Réseau de Femmes d’Amérique brune est une coordination latino-américaine qui n’est pas exclusivement chilienne : - Maintenant, en tant que chercheuse, je réalise un travail sur la mémoire. Le sujet des femmes est un thème qui nous implique en tant que jeunes, comme la connaissance du contexte historique, aussi bien national qu’international, des faits. Je l’ai trouvé très intéressant. En parlant de mémoire et de droits de l’Homme, nous avons abordé la cosmovision mapuche, les problèmes politiques de ce peuple face à l’État et maintenant, nous parlons de la mémoire, les détenus disparus, les problèmes politiques qui ont amené à 1973, une vision générale. Les bases ainsi posées sont très bonnes. C’était à la fois une classe, une expérience, une connaissance et une mémoire. » La conclusion de la réflexion générale de la table ronde est que la mémoire historique a nourri l’action de la résistance et de ses organisations, que les forces de l’autoritarisme, la discrimination et la violence présentent une continuité dans notre histoire dans les domaines politiques, économiques, sociaux et culturels, « la répression du Peuple Nation Mapuche et le fémicide étant aujourd’hui des expressions très graves de cette continuité. » Les femmes de cette table ronde ont aussi envisagé des actions concrètes. Une d’entre elles est de coordonner une action sur le territoire mapuche en conflit dans le Sud du Chili qui revendique le droit à la création pour les enfants affectés par la répression policière et le climat de tension permanente, en emmenant dans la région des œuvres de théâtre, le cinéma et des jeux. Elle exprimera également la solidarité en apportant des habits, des premiers secours et des vivres collectés dans le réseau.


À la demande d’une des organisatrices de cette table ronde, Juan Carlos Chávez Pilquil, avocat, professeur de cosmovision mapuche, a donné aux participantes un compte-rendu général sur les éléments centraux des croyances de son peuple, apprentissage qui se réalise principalement oralement. « La transmission de la connaissance dans la tradition mapuche se fait à l’intérieur de la famille. Ici, dans la ville, cette formation est tronquée et une sorte de coupure générationnelle se crée. Ma « ñuque » (maman) ne parle pas le « mapudungun ». J’ai commencé à le parler avec mes grands-parents et j’ai eu une partenaire mapuche de laquelle j’ai beaucoup appris. J’ai poursuivi cet apprentissage par ma propre motivation. Ce n’est pas quelque chose que l’on trouve dans les livres mais qui s’enseigne et s’apprend par la conversation, qui se donne par l’intermédiaire du dialogue. Je parle ici en des termes très basiques parce que la cosmovision est assez complexe. On ne livre jamais toutes les connaissances, car certains sujets sacrés restent uniquement à l’intérieur de la communauté. En tant que peuple, nous avons besoin que notre lutte soit portée à votre connaissance, mais nous voyons qu’il y a beaucoup de théoriciens, de penseurs qui parlent de construire une civilisation ou une société nouvelle, depuis les socialismes qui ont été inventés en Europe ou ceux du XXIe siècle et sans parler des idéologies destructrices du néolibéralisme, l’impérialisme. Nous pensons que notre savoir peut être un apport pour une société nouvelle qui va au-delà de notre cosmovision et qui est récurrente dans beaucoup de cultures originaires en Amérique. Dans le fond, il s’agit de la cosmovision que beaucoup de peuples ont pratiqué avant que l’accumulation de richesse ou le capitalisme ne s’installent en Europe. La cosmovision des celtes et celle des mapuches sont très semblables. Par exemple, elles répètent le cercle des quatre énergies qui sont importantes pour l’être humain et la nature. Il se répète dans ces cultures ancestrales, il transcende notre culture. D’autre part, notre cosmovision contient la croyance dans le fait que chaque personne vit son propre développement et processus d’évolution personnelle. Il y a des moments dans lesquels notre esprit est préparé pour recevoir certaines connaissances et d’autres où il ne l’est pas. Ce n’est pas une affaire d’intellect mais il s’agit plutôt d’avoir l’esprit préparé pour cela, et non de garder farouchement des secrets à l’intérieur de notre communauté. »


La sexualité de la femme et de l’homme


Pendant deux journées consécutives, les participants de cette table ronde, hommes et femmes, ont traité des déterminants de la pratique de la sexualité au Chili, en tenant compte du modèle hiérarchique de la société et la forte influence de l’église catholique dans les politiques d’état qui, de l’avis des membres de cette table ronde, « a freiné l’éducation sexuelle et la possibilité pour que les droits sexuels et reproductifs soient respectés ». Un autre déterminant provient de l’inégalité de la distribution du revenu, facteur très important dans le vécu de la sexualité au Chili, car elle établit une réalité différente pour les secteurs les plus pauvres de la population dont les espaces d’intimité pour l’activité sexuelle sont assez restreints.


D’autre part, il existe une modalité assez partielle d’aborder culturellement le sujet. À ce propos, le groupe de réflexion a conclu « qu’il est fondamental de considérer la sexualité dans tous ses aspects et de ne pas se centrer seulement sur le coït, la prévention du SIDA, des autres MST et la grossesse non désirée. Il est important de prendre en compte les aspects culturels, sociaux, économiques, politiques, les droits de l’homme, la création de liens sains et le respect pour la diversité sexuelle. » Une éducation intégrale qui inclut les droits sexuels et reproductifs, le droit au plaisir, est indispensable en tant que traitement social du sujet qui incorpore la participation aussi bien des femmes que des hommes. Les participants de cet atelier ont signalé : « Nous considérons que l’éducation sexuelle ne doit pas seulement provenir des initiatives des institutions de l’État, mais que la participation active des organisations sociales est fondamentale. Ces actions d’éducation sexuelle doivent favoriser l’autonomie dans la prise de décisions en tenant compte du respect et la valorisation de la diversité sexuelle ».


En résumé


La première rencontré du réseau Amérique brune a rempli l’objectif d’unir les réflexions dans l’optique d’une vision commune de l’environnement complexe que les femmes rencontrent au quotidien, avec l’exigence d’une multiplicité de rôles, une image sociale du devoir dissociée des nécessités réelles du genre et la forte pression du machisme et d’un système économique limitant fortement les possibilités de développement personnel et social de l’être humain en général. La satisfaction d’avoir lancé formellement un réseau et de lui donner l’impulsion nécessaire pour perdurer et grandir encore se dégage au travers de l’exposé d’objectifs et de projets ambitieux, comme le signale Ulricke Meissner, coordinatrice de la rencontre. « Nous devons continuer unies et travailler pour améliorer la situation de millions de femmes. Pour certaines, il se peut qu’elles souhaitent changer seulement de petits détails, mais pour d’autres, c’est leur vie entière qui est concernée ». Une participante, Nancy Contulliano, 38 ans, dirigeante dans le secteur de la construction, expose ce que cette rencontre a signifié, selon elle, pour la majorité des participantes :
- En tant que femmes, nous avons beaucoup de problèmes dans notre environnement. Cette rencontre nous apprend à être égaux, femmes et hommes, pas à être supérieur ou inférieur à l’autre. Et si nous, en tant que femmes, nous ne changeons pas cela, qu’espérons-nous pour le futur ? Ce n’est pas que je me reproche quelque chose, mais nous, en tant que femmes, incitons très souvent l’homme à être machiste dans un environnement et un pays dirigés par des machistes. Nous devons alors démontrer que nous ne sommes ni inférieures ni supérieures à eux, nous sommes égales, et ce, pour qu’ils apprennent ainsi à nous respecter, et réciproquement, mutuellement. »




 

 

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