Asambleas Ciudadanos


 

Documents

 


Retrouvez ici les différents documents apportant un éclairage approfondi sur les multiples aspects des assemblées de citoyens. Les documents sont disponibles en trois langues et organisés en fonction de trois thématiques :
1. Relations entre les assemblées et dialogue des facilitateurs,
2. Enjeux, méthodes et défis des assemblées de citoyens,
3. Histoire et construction sociale des assemblées.

 

 

Citoyens(ennes) du Cône Sud au Forum Social Mondial 2011 : apprentissages, réflexions, perspectives et engagements

Traductions : français . Español . English


Un collectif de participants de l’Assemblée citoyenne du Cône Sud a participé du 1er au 12 février 2011 aux activités du Forum social mondial – FSM, tenu à Dakar, ville côtière et capitale du Sénégal au nord-ouest de l’Afrique. Bien que nous ayons été personnellement invités par différents réseaux et initiatives, nous avons maintenu une forte identité et une coordination commune comme citoyens du Cône Sud au sein de l’Assemblée, et notre perspective collective, quoique internement diversifiée, s’est clairement manifestée. Ceci est le fruit de la confiance, de la fraternité et des réflexions communautaires engendrées par des années de travail et de construction de ce processus. Suite à cette expérience, nous faisons parvenir à l’Assemblée quelques réflexions collectives, accompagné comme toujours de toute notre affection.


La joie du retour


Bien que cela puisse paraître contradictoire à première vue, nous avons quitté le FSM avec le sentiment d’avoir vécu un « retour ». Lors de la rencontre des migrants de l’île de Gorée, nous l’avons dit : nous étions revenus à l’humanité, parce qu’à l’endroit même où nous avons annoncé les principes pour un monde plus humaniste des millions d’êtres humains avaient été déshumanisés par le biais de l’esclavage. Mais maintenant cette sensation de retour est plus profonde encore. Peut-être parce que nous avons « bouclé la boucle », comme disent les anciens du peuple Maya Quiché d’Amérique centrale, dans cette Afrique pleine de douleur et de joie, qui vient de célébrer les 50 ans de son indépendance coloniale et qui parallèlement semble être en retard de 150 ans dans sa lutte contre la pauvreté si on la compare à l’Amérique latine. Grâce aux connaissances actuelles, nous savons que la première grande migration de l’homme est justement partie d’ici, de l’Afrique, vers le reste du monde, il y a environ dix millions d’années. Alors peut-être avons-nous pris conscience du fait qu’au fond nous sommes tous des Africains, que nous avons tous des frères et des sœurs, des cousins et des cousines partout dans le monde ; que nous formons une seule humanité diverse qui habite la même maison, dans tous les sens du terme. Peut-être est-ce parce que le crime de l’esclavage commis par la civilisation occidentale des pays du Nord nous a apporté la richesse de quinze millions de frères et de sœurs africains qui font désormais partie de notre identité et de notre culture latino-américaine, ce qui prouve que même au plus profond de l’horreur, subsiste, doit subsister, la beauté, l’espoir et la résistance. Cette sensation étrange d’avoir vécu un retour était probablement le bonheur de retrouver nos origines.


Abandonner ce qui n’est plus adapté et faciliter l’innovation


Nous confirmons que les FSM sont des espaces précieux de par leur large éventail de convocation et de thèmes, d’intérêts, d’identités et d’initiatives. L’édition de 2011 a proposé quodiennement près de 200 ateliers et activités, avec plusieurs forums parallèles, des rassemblements et des caravanes, convergeant au sein de 38 assemblées animées au cours des deux derniers jours du forum. Soixante mille participants étaient au rendez-vous. Nous confirmons également le risque de se perdre dans un dialogue de sourds dans lequel chaque intérêt, ressentiment, identité, thématique et lutte finit par entraîner la subordination et l’exclusion des autres, en reproduisant en quelque sorte, de façon contradictoire, une des caractéristiques de l’ordre mondial actuel que nous devons et voulons changer. L’amour et l’imagination s’avèrent plus importants encore que l’intelligence pour maintenir le cap et construire le bonheur des êtres humains à partir d’une nouvelle perspective.


La richesse des options et des dialogues de ces Forums est utile pour alimenter les résistances mondiales et la nouvelle conscience humaine qui est de plus en plus universelle mais aussi internement diverse et horizontale. Cela implique naturellement d’énormes défis de logistique et d’organisation qui, dans ce cas et compte tenu de certaines caractéristiques du pays d’accueil, ont rendu particulièrement complexe et chaotique la réalisation de cette rencontre.


Néanmoins, il existe aussi des signaux évidents d’un déphasage profond entre les nouvelles dynamique, les nouvelles énergies qui arrivent encore aux Forums, et les anciennes formes d’organisation des discussions, de dialogue, d’échanges, encore engluées dans des modèles hiérarchisés, typiques des conférences avec des panélistes qui s’adressent aux masses et d’autres qui se disputent pour garder le micro et répéter de vieux slogans et de vieilles idées... bref, des méthodes profondément inadaptées. Mais ce n’est pas seulement une question de méthode, il s’agit d’un sentiment général que confirment plusieurs alliés qui ont participé aux premiers Forums, d’une sensation d’usure, comme si cette « âme » du premier Forum de Porto Alegre, ce « rêve » initial était en train de se perdre. Il ne faut pas non plus exagérer et dire que le rêve s’est transformé en un cauchemar, mais force est de constater à Dakar mais aussi en Egypte vu le cours des évènements que les nouvelles dynamiques sociales, les nouveaux processus d’émancipation politique et culturelle de cette deuxième décennie du XXIe siècle ne suivent plus la voie tracée par le Forum de Porto Alegre. Certes cet élan se poursuivra, il y aura encore des forums thématiques, régionaux, qui réuniront des gens, mais nous pensons qu’il faut approfondir les enseignements tirés d’évènements tels que ceux qui ont lieu en Tunisie et en Egypte ainsi que des assemblées de citoyens que nous sommes en train de créer car nous sommes convaincus que « c’est la voie à suivre ».



Compilation de photos réalisées durant le Forum Social Mondial 2011 de Dakar par Nicolas Haeringer, Ricardo Jimenez, Dante Farricella, Francois Soulard, Lucia Alvites, Arafet Ben Marzou et Fabien Leblanc.




La tension émancipatrice mondiale / régionale


Dans le même temps, nous réaffirmons notre conviction que le progrès vers des niveaux supérieurs d’articulation d’une proposition alter mondialiste émancipatrice ne trouve pas de voie opérationnelle, pratique, faisable, de réalisation autre que la construction graduelle, complexe et inégale de blocs régionaux regroupant des pays ou de zones d’affinité géographique, culturelle et d’intérêts. Le mouvement historique lui-même semble confirmer cette nécessité autant pour les États que pour les peuples et les mouvements sociaux et citoyens. Il ne s’agit pas d’opposer l’espace mondial à celui de blocs ou de zones régionales, mais de soutenir ces deux espaces : le premier pour son ampleur et sa richesse et parce qu’il est l’horizon programmatique où est engendrée et alimentée la nouvelle conscience de l’humanité ; le second parce qu’il constitue le chemin instrumental viable, actuel, où rendre possible les nouveaux consensus de régulation de plus en plus nécessaires et urgents. C’est une tension complexe et non pas une opposition excluante. Ce qui ravive et réaffirme notre engagement envers le processus de l’Assemblée citoyenne du Cône Sud et sa relation systématique avec les autres Assemblées du monde, car il apparaît pleinement dans ce mouvement émancipateur réel des peuples, qui est loin d’être facile mais essentiel pour transformer la réalité.


Perspective, la transcendance de Rio +20


C’est précisément à partir de là que nous pensons pouvoir apporter quelque chose aux perspectives. Non seulement en soutenant et en approfondissant systématiquement les processus des Assemblées régionales vers le dialogue et le consensus mondial, mais aussi en interagissant avec les initiatives de portées diverses qui stimulent les peuples et que l’Assemblée a toujours soutenues. Ici apparaît l’importance du Sommet Rio+20 sur le développement durable et l’éradication de la pauvreté qui aura lieu en mai 2012 au Brésil et pendant lequel se rencontreront les représentants des États, les grandes agences et ONG, les peuples, les mouvements et les citoyens. Une étape fondamentale qui ne marque ni le début ni la fin du chemin de l’effort, de la lutte et du travail pour atteindre les principaux objectifs, mais qui replace dans le présent cette convergence de la multiplicité et de la diversité du chemin que nous devons suivre. Au-delà de l’optimisme et du pessimisme qui alimentent les débats sur ces sommets, l’important pour les peuples et les citoyens est l’excellente occasion qu’ils représentent pour enrichir nos mouvements, nos réseaux, nos initiatives, nos réflexions et nos propositions émancipatrices, pour nous confirmer comme créateurs de réponses de qualité, possibles et souhaitables, aux crises découlant du besoin de plus en plus urgent d’une régulation mondiale, régionale, nationale et locale.


Bien qu’en relation avec les Etats, des signes indéniables et encourageants de changement apparaissent et quoique nous sachions que les Etats interagissent avec les peuples, notre responsabilité en tant que peuples, mouvements sociaux et citoyens est essentielle face aux risques que courent les changements en marche au niveau des Etats. Ainsi nous le rappellent, dans une perspective historique, nos alliés du Forum pour une Nouvelle Gouvernance Mondiale, précisément en référence à Rio +20 : « Il est également vrai que l’arrivée de nouveaux acteurs qui se présentent à des rôles clés nous donne parfois le sentiment de traverser une période de renouveau salutaire. Mais trop souvent, l’émergence de nouveaux acteurs se traduit dans les faits par une belle arrogance, celle que montrent ceux ou celles qui, après une longue attente, entrent enfin dans le club exclusif des grands de ce monde. Ces derniers temps, ni la Chine ni le Brésil, ou du moins leurs représentants de plus haut niveau, n’ont réussi à résister à cet obstacle contre lequel se sont heurtés tous ceux qui, avant eux, avaient accédé au statut de grande puissance » (FNGM : octobre-novembre 2010, p. 6 et 7).


Pour s’acquitter de cette responsabilité, nous considérons important de systématiser les débats, les multiples expériences et apprentissages, de revenir à un « nous » comme citoyens du Cône Sud qui convergent pour apporter leur expérience dans cette rencontre et pour suivre ensuite leur chemin et continuer le combat. Après ce que nous avons vécu et pensé à Dakar, nous envisageons trois grands domaines qui interagissent et sont simultanés, dans lesquels concentrer nos efforts et notre travail. Premièrement, les propositions, l’ensemble d’idées qui, de par leur intégralité, apportent des réponses possibles et souhaitables et anticipent de nouvelles formes de régulation pour surmonter la crise globale, une sorte de cœur ou de moteur (chacun choisira la métaphore qu’il préfère, biologique ou mécanique) du processus émancipatoire. Il s’agit d’un domaine programmatique et de contenus. Deuxièmement, la génération d’une force politique, sociale, populaire et citoyenne qui puisse servir de base et faire pression pour que les réponses proposées soient mises en oeuvre, en évitant qu’elles ne perdent de leur précision dans les tensions naturelles et les contradictions de leur diversité interne. Et troisièmement, apprendre, créer et renforcer les conditions et les modalités qui rendent possible la proposition et la force politique, mais à partir d’un paradigme d’inclusion et d’un protagonisme collectif, doté d’un niveau élevé de conscience, d’engagement et de responsabilité, afin d’éviter la fragmentation et l’inefficacité.


Accumuler les propositions et non pas rebondir de réunion en réunion


Nous avons appris qu’il ne s’agissait pas seulement de se réunir et d’organiser des réunions. C’est utile, mais tout à fait insuffisant. Nous devons accumuler les propositions, les idées mobilisatrices, plus fortes qu’une armée comme disait Victor Hugo, plus solides que les murs de pierre comme disait José Martí, subversives et convocatrices, qui ouvrent des chemins, déchaînent les énergies et offrent des réponses durables à la crise. Des idées qui soient en même temps l’aliment et le fruit de nouvelles méthodes, formes et attitudes. Dans le passage du XXe au XXIe siècle, le changement dans les discours s’avère plus avancé, c’est une bonne chose, mais il reste encore beaucoup à faire dans la pratique. Dans nos Assemblées populaires et citoyennes, il y a de la place pour l’imagination, la créativité et aussi pour une grande responsabilité. Nous sommes convaincus que nous devons parier sur la croissance et l’approfondissement des mouvements sociaux et populaires et ce, à des niveaux supérieurs et sur tous les plans. L’audace et l’innovation sont les maîtres mots des nouveaux besoins et exigences, des nouvelles mesures destinées à surmonter l’insuffisance de ce qui autrefois était utile mais qui aujourd’hui est devenu obsolète.


Il s’agit sans aucun doute d’un lourd défi mais le fait de prendre conscience de la réalité, et de son évolution, de ses besoins et des tâches nécessaires pour parvenir à une émancipation est en soi un capital précieux et indispensable pour organiser nos efforts. La réalité continue d’évoluer rapidement pendant que nous écrivons ces lignes, ce que nous montre la crise que traverse l’Afrique dont le FSM s’est fait l’écho car elle a lieu dans un pays voisin du Sénégal. Les combats en Egypte, par exemple, nous surprennent avec des inédits devenus possibles, avec une imagination au service de la subversion, montrant le pouvoir de l’individu et des petits collectifs armés de courage, de joie et d’idées justes, comme ces jeunes professionnels qui à travers l’Internet dénoncent et mettent en évidence les sinistres méthodes policières du régime autoritaire et mobilisent les populations contre celui-ci. Combien d’autres changements apparemment inattendus mais possédant une profonde signification historique devons-nous attendre jusqu’à Rio+20 en 2012 ? Certainement beaucoup, mais notre engagement et notre responsabilité nous permettront, modestement bien sûr, de suivre le rythme des évènements et d’apprendre des urgences et des réponses émancipatrices qu’elles contiennent.





 

 

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